L'assassinat du Dr. Sadegh Sharafkandi et de ses Collaborateurs dans le restaurant " Mykonos " à Berlin et extraits des attendus du verdict du Tribunal de Berlin rendu le avril 1997.
Le 17 septembre 1992, le Dr. Sadegh Sharafkandi, secrétaire général du Parti Démocratique du Kurdistan d'Iran, et trois de ses collaborateurs, Fattah Abdoli, Homayoun Ardalan et Nouri Dehkordi, furent froidement abattus dans un restaurant de Berlin, le «Mykonos», où ils s'étaient réunis après avoir participé à un congrès de l'Internationale Socialiste. Le 10 avril 1997, plus de trois ans après l'ouverture du procès des présumés coupables de l'attentat - un Iranien et quatre Libanais - la cour de Justice de Berlin rendit son verdict: l'Iranien Kazem Darabi, accusé d'avoir organisé les meurtres sur ordre des services secrets iraniens, et un Libanais du nom d'Abbas Rhayel, accusé d'avoir tiré les coups mortels, ont été condamnés à perpétuité. Deux de leurs complices, les Libanais Youssef Amin et Mohammad Atris, ont été condamnés respectivement à onze ans et à cinq ans et trois mois de prison. Le cinquième accusé, un Libanais du nom d'Atallah Ayad, a été acquitté.
Ci-dessous, de larges extraits des attendus du jugement:
Dessous historiques et actes déclaratoires de complicité de dirigeants iraniens dans le crime. Le professeur Steinbach, directeur de l'Institut d'Orient de Hambourg, en qualité d'expert, et les témoins Hosseini, Ezatpour, Bani Sadr, Mesbahi et le Dr. Ganji ont fait des dépositions concernant le Parti Démocratique du Kurdistan d'Iran et son programme politique ainsi que la politique adoptée par le régime iranien à l'encontre de ce Parti, en particulier après la Révolution islamique de 1979. Il ressort de leurs dépositions, en particulier de celle du professeur Steinbach, qu'après la Révolution islamique l'Iran s'est proclamé Etat de Dieu et que la " suprématie des Doctes " a permis à l'appareil du pouvoir de fixer lui-même le contenu de la législation. Les mouvements d'opposition sont réprimés de façon systématique. Leurs représentants sont pourchassés à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, ainsi que le confirment les témoins Bani Sadr et le Dr. Ganji. Aux yeux des dirigeants iraniens, ce sont surtout les revendications d'autonomie de l'opposition kurde et de son représentant, le P. D. K. I., qui constituent un danger pour le régime. En conséquence, le pouvoir combat sans relâche ces revendications, en dépit de courants divergents à l'intérieur de ses propres rangs, et s'efforce de les éliminer par l'emploi systématique de la force. Déjà du temps de la collaboration au pouvoir de Bani Sadr, Khomeiny rejetait toute forme de solution qui ne fût l'élimination des dirigeants kurdes. Le témoin Mesbahi a décrit le déroulement des faits lorsque le pouvoir décide de pourchasser une personne qui s'est attiré sa défaveur. Après avoir parlé en général, il a donné des détails importants sur l'attentat dont il est question ici. Les renseignements qu'il a obtenus de certains collaborateurs des services secrets et dans ses entretiens avec Banihashemi révèlent que l'attentat du Mykonos a été perpétré selon le modèle habituel. Le " Comité pour affaires spéciales " joue un rôle prépondérant dans les prises de décisions. Il se présente comme l'émanation de la toute-puissante " suprématie des Doctes ", se place au dessus de la Constitution et du gouvernement, prend d'importantes mesures de sécurité qui outrepassent les pouvoirs de tel ou tel département et dont il ne rend pas compte au Conseil National de Sécurité. Mesbahi a obtenu ces renseignements sur la constitution, la fonction et la composition du Comité d'un collaborateur de cet organe et d'une personne de confiance travaillant au Conseil National de Sécurité. Le professeur Halm, également expert, a donné des informations supplémentaires sur la position du Guide de la Révolution, membre permanent du Comité pour Affaires spéciales. Selon ses explications, la fonction de Guide de la Révolution, également nommé " Guide religieux ", a été créée après la Révolution islamique. Bien que le Guide de la Révolution soit un organe de la Constitution, il n'est pas l'autorité spirituelle suprême, représentée par les Grands Ayatollahs. Le Guide de la Révolution exerce plutôt une fonction politique. Un ordre d'exécution du Comité pour Affaires spéciales portant la signature du Guide de la Révolution n'a dès lors rien à voir avec la religion: c'est un acte politique et étatique. Dans l'affaire que nous instruisons, l'ordre d'exécution qui a été donné n'a rien à voir avec une " fatwa ", ni avec un commandement religieux tiré du Coran ou de la Sharia portant sur certains comportements. Même une fatwa qui qualifie l'apostasie de comportement méritant la mort n'est pas un ordre d'exécution. Il appartient à chaque chiite de décider s'il obéit à une fatwa. Toutefois, étant donné la personnalité de Khomeiny, dans le cas d'une fatwa prononcée par lui, on peut se poser des questions - mais ce n'est pas le cas dans la présente affaire. Il est vrai aussi que, dans le droit islamique, l'exécution d'une personne en raison d'une fatwa n'est pas considérée comme un meurtre. Les explications du professeur Steinbach vont dans le même sens, à savoir que les opposants kurdes ne sont pas pourchassés pour des motifs religieux, mais politiques et nationaux. Toute référence à la religion n'est dès lors qu'un camouflage transparent de la politique de force du régime. Dans l'affaire du Mykonos, les accusés étaient parfaitement conscients que l'attentat avait pour objectif l'élimination des dirigeants politiques d'un groupe ethnique faisant partie de l'opposition iranienne. Pour l'aider dans sa chasse aux opposants politiques, le pouvoir fait appel à la VEVAK, aux pasdaran (Gardiens de la Révolution) et au Hezbollah libanais. Le corps des pasdaran fut créé après la Révolution islamique et comprend des forces de terre, de mer et aériennes. Ses membres sont dévoué scorps et âme au régime intégriste de l'Iran; leur mission est essentiellement de combattre l'opposition à l'intérieur du pays et de soutenir la lutte islamique à l'étranger. Parmi leurs activités à l'étranger, on peut noter la création du Hezbollah chiite (Parti de Dieu) au Liban après l'entrée des forces armées israéliennes dans ce pays en 1982. Un grand nombre de ses adhérents sont des transfuges du " Parti des Sans-Droits " fondé vers le milieu des années 70 par le dignitaire chiite Moussa Sadr et qui fut, après sa mort, rebaptisé Amal (Espoir). Les pasdaran ont également assuré l'approvisionnement en armes et la formation militaire des membres du Hezbollah. D'après les témoins Ismail El Moussaoui, Hussein Kanj, Bani Sadr et Mesbahi, il existe également des camps d'entraînement en Iran. Selon le professeur Steinbach, le Hezbollah est financièrement, idéologiquement et militairement dépendant de l'Iran et chargé d'une double mission: propager l'idéologie de la Révolution islamique et combattre les opposants au régime iranien. Ce sont des groupes décentralisés chargés de missions spéciales de nature militaire ou terroriste qui mènent le combat, financé de plus en plus par des dons et par de l'argent provenant de rackets et du trafic de la drogue. Selon le professeur Steinbach et le témoin El Moussaoui, le Hezbollah n'est pas structuré comme une armée, ni caserné, et ignore les principes d'autorité et d'obéissance. Est membre du Hezbollah quiconque adhère à ses objectifs et est prêt à agir dans ce sens. Le Hezbollah est une communauté d'agents actifs ", une milice sans structure de commandement militaire; ses membres vont et viennent et travaillent à côté, comme par exemple Amin qui était installateur. Les actions et les opérations auxquelles participent les membres du Hezbollah et qui ne nécessitent pas d'ordre venu d'en haut, comprennent des attentats, des prises d'otages et des détournements d'avions. Le service du contre-espionnage fédéral possède une liste de ce genre d'opérations qui ont été revendiquées par le Hezbollah. Le témoin Mesbahi a déclaré que le " Comité pour les Affaires spéciales " avait chargé le ministre des services secrets Fallahian de l'organisation et de la mise en oeuvre de l'exécution du Dr. Sharafkandi. Ce renseignement lui avait été fourni par deux collaborateurs proches du Comité et par une source du bureau de sécurité du Guide de la Révolution. Cela concorde avec les renseignements contenus dans le rapport du service du contre-espionnage du 19 décembre et avec les déclarations du témoin Grünewald. Dans un rapport non daté, le groupe de travail sur l'Iran du service du contre-espionnage, qui dépend directement de Grünewald, a fourni des indications générales sur la manière de procéder lors de l'organisation des attentats terroristes et du dépistage des victimes. Il y est dit entre autres: " L'observation des habitudes de la personne choisie pour cible (en général un haut fonctionnaire), indispensable à la préparation d'un attentat, sera prise en charge lors de la phase terminale par une équipe opérationnelle venue d'Iran, avant que le commando de tueurs ne passe à l'action ". Mesbahi a confirmé et complété cette information par des renseignements concrets se rapportant à l'attentat du Mykonos. D'après lui, il aurait appris d'une de ses connaissances, un certain Hadavi Moghadam, employé d'une société-écran également impliquée, que celui-ci, posant comme homme d'affaires, avait effectué les premières reconnaissances sur place et réactivé les sources locales, après quoi il avait communiqué les résultats de son enquête et proposé des solutions à Fallahian. En 1994, au cours de conversations avec Arshat, Mesbahi a appris qu'Arshat et Kamali avaient effectué les dernières reconnaissances fin juin/début juillet 1992, avant l'arrivée en Allemagne du commando de tueurs. Les agents Arshat et Kamali avaient eu accès aux sources locales gràce à un nom de code choisi avec lesdites sources et qu'ils avaient communiqué à la VEVAK. Mesbahi n'était pas au courant de la date d'arrivée du commando de tueurs. Il a cependant pu fournir des renseignements sur la personnalité du chef du commando, Banihashemi, que l'accusé Amin ne connaissait que sous le nom de Sharif et dont Mesbahi avait déjà entendu parler lorsqu'il travaillait encore pour les services secrets iraniens. D'après lui, Banihashemi était chargé de la direction d'une équipe opérationnelle pour des missions à l'étranger et avait conduit l'attentat, le 18 août 1987 à Genève, contre le pilote Talebi qui avait fui l'Iran dans un avion de chasse Phantom et s'était établi en Suisse. Mesbahi déclara ensuite que Banihashemi lui avait dit, lors d'une rencontre fortuite à Téhéran, que " l'affaire avec les Kurdes en Allemagne " s'était déroulée sous le nom de code " Faryad Bozorg Alawi " par lequel Fallahian avait déclenché l'opération, que lui, Banihashemi, avait dirigé l'équipe après avoir reçu une enveloppe qui, selon Mesbahi, devait contenir les photos des victimes désignées et qu'à son retour en Iran, il avait reçu une Mercedes 230 en récompense. Mesbahi a pu observer qu'après leur entretien, Banihashemi partit effectivement au volant d'une voiture de ce modèle. Ultérieurement, Mesbahi apprit qu'on avait également intéressé Banihashemi aux bénéfices d'une société d'export de très bon rapport. Que Banihashemi ait été disposé à faire de telles confidences peut s'expliquer, selon Mesbahi, par le fait que la rencontre se déroulait entre deux amis tous deux actifs dans le domaine des services secrets et dont l'un avait été un collaborateur de haut rang de la VEVAK. Le nom de code donné à l'opération était connu du service de contre-espionnage fédéral. Le rapport du groupe de travail déjà nommé mentionne le nom " Bozorg Alavi ". Mesbahi, qui avait appris le nom de code de la bouche de Banihashemi qui, vu les circonstances, avait dû être le premier à en être informé, déclara que le nom exact était " Faryad Bozorg Alavi" (=Souhait du Guide des Chiites). De par sa propre expérience, Mesbahi connaissait la fonction d'un nom de code. Celui-ci permettait d'entrer en contact avec la VEVAK qui l'utilisait à son tour pour donner le signal du déclenchement de l'opération. Mesbahi lui-même, lors de l'organisation de l'attentat contre Hadi Khorsandi à Londres (1987/1988) qu'il avait toutefois empêché par la suite, avait reçu ce signal codé au téléphone de Mohammad Hashemi (pseudonyme Musawizadeh), à l'époque représentant du ministre de la VEVAK Reyshari.
Compétence des experts et des témoins
1- Les experts Le professeur Steinbach est un orientaliste réputé et hautement qualifié. L'intérêt qu'il manifeste pour la transformation de l'Iran en " République islamique " et ses fréquents voyages en Iran lui ont permis d'acquérir des connaissances sur place et de nouer des contacts avec des religieux islamiques de haut rang. Le professeur Halm est directeur du Séminaire orientaliste de l'université de Tübingen où il enseigne les sciences islamiques. Il est dès lors hautement qualifié.
2. Les témoins Hosseini est membre de longue date du P.D.K.I. Depuis la mort d'Abdoli, il est le représentant du P.D.K.I. à l'étranger. Ezatpour est également membre du P.D.K.I. depuis de longues années et a succédé à la victime Ardalan au poste de représentant du Parti en Allemagne. Le Dr. Ganji était maître de conférences à l'université de Téhéran et a dirigé, de 1976 jusqu'à la fin de 1978 sous le règne du Shah, le Ministère de l'Education et temporairement le Ministère des Sciences et de la Formation universitaire. Au cours de son exil en France après sa fuite, il fonda et dirigea l'organisation monarchiste constitutionnelle "Drapeau de l'Iran libre ". Du 25 février 1980 jusqu'au 20 juin 1981, date de sa déposition par Khomeiny, Bani Sadr fut président de l'Etat iranien. En exil en France, il publie le magazine " Enghelabe Eslami qui rend compte de la situation en Iran. Ces témoins maintiennent des relations étroites avec les membres de leurs organisations et avec leurs sympathisants, qui les informent sur les développements en Iran et leur font également parvenir des renseignements non officiels provenant de l'appareil du pouvoir. Pendant plusieurs années, jusqu'à la fin de 1983, Mesbahi a été le responsable du service de renseignement iranien en France. Ainsi qu'il a lui-même admis, ses activités étaient dirigées contre les opposants au régime islamique, y compris contre ceux vivant en exil. Après son expulsion de France le 24 décembre 1983, il se vit confier une mission de coordinateur pour l'Europe par les services secrets iraniens. En cette qualité, il prit contact avec le consul général Farhadinia à Hambourg, qui était également agent des services secrets. Il est resté au service de l'Etat iranien et a pris part à des négociations entre Etats. En novembre 1988, à la suite de certaines déclarations sur la libération d'otages, il fut soupçonné de trahison et incarcéré pendant 120 jours. A sa sortie de prison, ayant décidé de quitter le service de l'Etat, il fut assigné à résidence pendant un an et demi. Après la levée de sa résidence forcée, il se tourna vers le commerce, mais on lui mit bientôt des bâtons dans les roues. Sous le prétexte qu'il avait des contacts avec des bureaux américains , sa société fut fermée et il fut obligé de remettre les locaux et sa part aux bénéfices à des sociétés-écran de la VEVAK. Pour finir, le " Comité pour les Affaires spéciales " décréta la peine de mort à son encontre et décida de le faire périr dans un simulacre d'accident de camion. Il eut connaissance de ce plan le 18 mars 1996 par un collaborateur de haut rang de la VEVAK, nommément cité (pour des raisons de sécurité, le tribunal renonce à mentionner le nom et la fonction exacte de l'informateur dans son verdict), qui lui conseilla de quitter le pays. Le 18 avril 1996, laissant sa famille sur place, il réussit à fuir au Pakistan. Le tribunal a vérifié les dires de Mesbahi dans toute la mesure du possible, non seulement pour se faire une idée globale de la crédibilité du témoin, mais également parce que le gouvernement iranien a tenté de dévaloriser sa déposition. Vers la fin du mois de novembre 1996, le Ministère iranien des Affaires étrangères fit parvenir au Ministère de la Justice fédéral, par l'intermédiaire de l'ambassade d'Allemagne à Téhéran et de l'ambassadeur d'Iran à Bonn, un dossier non daté et non signé. Ce dossier réfute l'existence d'un lien quelconque entre Mesbahi et les services secrets iraniens et l'accuse d'activités criminelles. Loin d'être l'essai de clarification promis par le gouvernement iranien, ce dossier n'était en fait destiné qu'à créer la confusion lors des audiences. aa) Par l'intermédiaire des services de renseignement et du contre-espionnage fédéraux, le tribunal a reçu des informations d'un service de renseignement étranger, selon lesquelles Mesbahi, censé être conseiller commercial à l'ambassade d'Iran, était en fait le responsable du service de renseignement iranien. Cette activité visait principalement les opposants au régime vivant en exil. Bien que le dossier confirme le fait que Mesbahi avait fait des études à Paris et qu'il exerçait une activité à l'ambassade d'Iran, il affirme par ailleurs que cette activité se faisait «à l'instigation et sous la conduite d'un service de renseignement». Aux yeux du tribunal, cette information donne à entendre que Mesbahi travaillait pour un service de renseignement étranger. Il est peu probable, en effet, que le gouvernement iranien désirait informer le tribunal que Mesbahi exerçait cette activité sous la conduite de son propre service de renseignement, car un tel aveu aurait dévoilé ses propres activités d'espionnage. Mais il n'existe aucun indice prouvant que Mesbahi travaillait pour un service étranger. Son expulsion de France était motivée par ses activités d'agent du renseignement iranien. Confirmation en fut donnée par le fait que l'Etat iranien continua à l'employer. bb) Quinze jours à peine après son expulsion de France (le ler janvier 1984), selon ses propres déclarations, Mesbahi se rendit dans la République fédérale muni d'un passeport de service. C'est exact: le tribunal est en possession de la photocopie d'un passeport de service N'016317 établi au nom de Mesbahi et portant sa photo. D'après le visa et le tampon d'entrée, Mesbahi est arrivé le 16 janvier 1984 en Allemagne avec une autorisation de séjour jusqu'au 17 janvier 1984. Dans une lettre du 17 janvier 1984, le consulat général de la République islamique demanda aux responsables du service des étrangers à Hambourg d'accorder une autorisation de séjour de deux mois à Mesbahi. Celui-ci ne devait pas passer pour un touriste ou un homme d'affaires. Il était chargé d'une mission, car dans sa lettre aux autorités, le consulat général indiquait que le porteur du passeport de service susnommé était Mesbahi. L'autorisation de séjour fut accordée, car Mesbahi put circuler librement en Allemagne, bien qu'il restât sous la surveillance des services de renseignement. Ainsi qu'il ressort du rapport des autorités du 11 février 1997, le service de contre-espionnage observa ses mouvements les 19 et 20 janvier 1984, les 15 et 16 février 1984 et le 22 mars 1984. Ceci en raison du fait qu'un Algérien du nom de Yayia Gouasmi était soupçonné d'avoir été impliqué dans les préparatifs d'un attentat contre le dissident iranien Harandi (d'après les déclarations de Mesbahi, il s'agissait du journaliste Khosrow Harandi). Cette surveillance établit que Gouasmi, Mesbahi et le consul général Farhadinia se comportaient comme des conspirateurs. Lors d'un interrogatoire par le parquet fédéral en septembre 1996, Mesbahi avait déjà fait une déposition à ce sujet. Il avait correctement cité le nom du chef du commando Gouasmi et décrit les activités d'agent de renseignement de Farhadinia, confirmées par ses déclarations sur les activités d'agent du renseignement de Darabi. Mesbahi déclara ensuite qu'il avait empêché l'attentat. Ceci concorde avec les constatations contenues dans le rapport du service de renseignement fédéral du 29 janvier 1997. Le 22 mars 1984, Mesbahi fut observé entrant dans la Maison de l'Iran à Cologne, où, selon sa déposition, il rencontra un peu plus tard Darabi. cc) Le dossier affirme qu'à partir de 1984 Mesbahi aurait cherché en vain à se faire embaucher par la VEVAK et par le ministère des Affaires étrangères. Il aurait été déclaré incompétent et non qualifié en février/mars 1987. Cette affrimation est en contradiction avec certains renseignements appuyés par des documents. Le tribunal est en possession de la photocopie d'une fiche d'inscription remplie par Mesbahi à l'hôtel Montana à Genève le 24 avril 1984, où il déclare que son passeport de service porte le N'016317 et qu'il est «chargé de mission». Ceci accrédite les déclarations de Mesbahi selon lesquelles il a pris part en avril et mai 1984 à des négociations dans le bureau iranien des nations Unies à Genève. Dans sa déposition, Mesbahi affirme avoir quitté la VEVAK en février 1996. Ensuite, le ministère des Affaires étrangères l'aurait affecté à des analyses politiques et stratégiques et chargé de missions de médiateur à l'étranger. En effet, le 8 juillet 1986, il se rend à nouveau à Genève, et sa fiche d'inscription porte une fois de plus le N° 016317 de son passeport de service. dd) Mesbahi déclare ensuite avoir pris part, à la demande du président iranien, à des négociations sur la libération d'otages allemands, français et américains, en compagnie de Said Emami, à l'époque directeur général de la VEVAK et l'actuel représentant de Fallahian. Il se rendit également en Allemagne, en compagnie d'Emami, pour prendre part à des négociations sur le sort de l'otage Cordes, directeur de la société Hoechst, ce qui est confirmé par des documents. Le tribunal est en possession de photocopies du passeport iranien de Mesbahi, portant le numéro 2696362 et un visa de l'ambassade d'Allemagne à Téhéran valable pour un séjour dans la République fédérale du 19 juin 1988 au 18 septembre 1988. Les talons conservés des billets d'avion prouvent que Mesbahi et Said Emami ont pris le même vol Swissair de Genève à Stuttgart. ee) Le tribunal est en possession d'autres fiches d'inscription qui prouvent, contrairement aux affirmations du dossier iranien, qu'entre fin 1986 et juin 1988 Mesbahi s'est rendu à plusieurs reprises à Genève comme chargé de mission. Dans sa déposition, il affirme avoir eu plusieurs passeports à sa disposition, dont un était établi au faux nom de Reza Abdollahi. Ces affirmations sont exactes. Deux fiches d'inscription de l'hôtel Rodania mentionnent un passeport iranien N° 307198 au nom de Reza Abdollahi. Du 5 au 8 mai 1988, Mesbahi descendit dans l'hôtel Ramada en se servant d'un passeport portant le numéro 2696362. La fiche porte en outre l'inscription «Dr. Sahraoui», qui n'est pas de la main de Mesbahi. Ceci est très important, car à l'époque, selon la déposition de Mesbahi, le Dr. Sahraoui représentait la partie allemande dans l'affaire Cordes et lui avait rendu visite dans son hôtel. ff) Mesbahi a déclaré qu'après avoir quitté le service de l'Etat iranien, il a continué à travailler pour le gouvernement en tant que conseiller lors de négociations internationales et qu'au cours de l'été 1993, à l'occasion de la visite d'Etat du président géorgien Chevarnadze, il avait été présent à toutes les manifestations officielles du côté iranien. C'est également exact. Le parquet fédéral a pu se procurer une photo extraite d'une émission de la télévision géorgienne, qui montre Mesbahi debout derrière un homme qui échange des documents avec un autre individu. Mesbahi a déclaré que la photo avait été prise lors de la signature d'un traité entre les deux pays, et que l'homme derrière lequel il se trouvait était à l'époque le directeur de la Banque d'Etat iranienne, un certain Adeli. gg) Il est à noter que le dossier, qui couvre une période de plusieurs années, présente de nombreuses lacunes. Il n'y est fait mention d'aucun des voyages de Mesbahi cités plus haut, dans le souci évident de ne pas rendre public le fait que Mesbahi travaillait pour le compte du gouvernement. On retrouve le même souci dans l'affirmation du dossier selon laquelle Mesbahi aurait cherché à «nouer des contacts avec plusieurs médiateurs politiques qui, dans certains cas, auraient donné des résultats». Par cette formule neutre, le dossier se réfère à la prise d'otage du directeur Cordes. Il n'était guère possible aux auteurs du dossier de passer cette affaire totalement sous silence, car ils devaient bien se douter que du côté allemand, on avait quelques informations à ce sujet. hh) Le dossier confirme la déposition de Mesbahi selon laquelle il avait été incarcéré en novembre 1988, mais le chef d'accusation est formulé en termes vagues tels que «nombreux délits» et «contacts avec l'étranger». En accusant Mesbahi d'avoir abusé de ses activités commerciales, d'avoir émis des chèques en bois et d'avoir escroqué ses associés, le dossier cherche à porter atteinte à l'intégrité du témoin. Mesbahi a réfuté ces accusations et a affirmé que ses activités commerciales avaient été florissantes, mais que Hashemi, à l'époque son supérieur à la VEVAK, l'avait peu à peu écarté de son affaire. Le dossier ne s'exprime que de manière fragmentaire à ce sujet. Le tribunal n'a pas été en mesure de faire la lumière sur ces faits. Le fait que le dossier incrimine Mesbahi d'avoir émis un chèque (en bois) qui n'a été remis à l'encaissement que le 18 novembre 1996, c'est-à-dire plus de six mois après la fuite de celui-ci, ne plaide pas pour la crédibilité des affirmations qu'il contient. Même si un examen supplémentaire devait révéler que Mesbahi s'est comporté de manière incorrecte dans ses activités commerciales, cela ne porterait pas atteinte de façon décisive, en raison des circonstances qui sont à l'origine de sa déposition, à sa crédibilité par rapport aux thèmes de l'accusation de ce procès. En outre, à des questions d'ordre général concernant entre autres le ressort et la compétence de l'organisation estudiantine UISA, l'activité des centres islamiques et leur importance par rapport à la propagation de l'idéologie de la Révolution islamique, ainsi que celle des fondations et institutions de l'Etat iranien actives en Iran, Mesbahi a donné des réponses qui concordent avec les déclarations du professeur Steinbach et d'autres experts et avec les renseignements fournis par les services du contre-espionnage fédéral et de Berlin. c) Le comportement de Mesbahi au cours de sa déposition ne fournit pas non plus le moindre motif pour mettre en doute la véracité de ses déclarations. Mesbahi a été interrogé de manière exhaustive pendant cinq journées d'audience. Il s'est exprimé avec calme, en pesant ses mots. Il a fait une distinction précise entre ce qu'il savait de par sa propre expérience, ce qu'il avait entendu au cours de conversations avec des personnes impliquées et ce qu'il avait appris par ouï-dire. Afin d'établir la crédibilité des informations par ouï-dire, il a nommément cité les sources et décrit leur fonction à l'intérieur de l'appareil de l'Etat, quand il jugeait possible de le faire sans risque pour autrui. La plupart de ses informateurs étaient des personnes qui occupaient des postes de haut rang et travaillaient dans des domaines où l'accès aux informations leur était facilité. A chaque fois qu'un thème était abordé sur lequel il n'avait pas d'informations précises, le témoin n'a pas hésité à l'admettre ouvertement. Ce fut en particulier évident lorsqu'il eut à répondre à des questions portant sur les préparatifs de l'attentat effectués par des forces locales, sur l'attentat lui-même, sur les personnes impliquées autres que Banihashemi et sur les armes utilisées. Mesbahi déclara sans ambages qu'il n'avait pas d'informations précises à ce sujet. Cette affirmation est importante, car elle permet de conclure que Mesbahi ne décrit aucun fait qu'il n'ait pu observer par lui-même ou dont il n'ait personnellement entendu parler. A la question de savoir qui, dans l'appartement du Senftenberger Ring, avait transmis le signal téléphonique du déclenchement de l'opération, il déclara ne pas pouvoir répondre. Il se borna à indiquer que Moghadam disposait de sources à l'intérieur du cercle d'opposants kurdes qui lui étaient dévoués. Particulièrement importants furent les détails fournis par Mesbahi sur le processus enclenché après qu'il avait été décidé de pourchasser et de liquider une personne tombée en disgrâce, sur les tâches confiées aux légations et autres institutions iraniennes à l'étranger, ainsi que sur les relations entre l'Iran et le Hezbollah. Ces renseignements ont pu être vérifiés et comparés avec d'autres éléments de preuves. Il en ressort que le témoin Mesbahi, doué d'une intelligence supérieure, possède une excellente mémoire et a pu donner des comptes rendus précis et détaillés même par rapport à des domaines en général peu accessibles. Il a avoué qu'il avait au départ soutenu la Révolution islamique, qu'il s'y était même engagé à fond. Mais l'évolution du régime au cours des dernières années et sa transformation évidente en un despotisme déguisé en «règne des Doctes», ainsi que les conséquences qui en résultaient, à savoir une perte progressive de la légitimité des dirigeants aux yeux de la population, la surveillance croissante exercée par l'Etat jusqu'au sein même de la famille et la sentence de mort prononcée à son encontre, l'avaient finalement décidé à quitter l'Iran et à déposer au procès. Son propre sort n'a en rien influencé son attitude lors de sa déposition. Il s'est toujours efforcé de rester objectif et ne s'est pas laissé entraîner à faire des déclarations qui dépassaient sa connaissance des faits, même lorsque les questions posées étaient de première importance. 3. Dans son appréciation des dépositions des témoins, le tribunal a tenu compte du fait que ces témoins étaient des opposants au régime actuel en Iran. Il a pu constater que les témoins s'efforçaient d'eux-mêmes de rapporter des faits. Le tribunal a ramené les appréciations occasionnelles formulées par les témoins aux faits réels qui les sous-tendaient, les distinguant ainsi d'expressions d'opinions personnelles. Le tribunal a pu vérifier les faits communiqués par les témoins en les comparant avec les déclarations des experts. Entre les uns et les autres, il n'a pu découvrir aucune différence notable, aucune contradiction par rapport à l'évolution historique du P.D.K.I., pas davantage en ce qui concerne la politique des dirigeants iraniens à l'égard de l'opposition kurde, l'attentat contre le Dr. Ghassemlou, les relations entre les dirigeants iraniens et le Hezbollah d'une part, les pasdaran d'autre part, les fonctions des autorités de l'Etat iranien ou des institutions iraniennes et islamiques en Allemagne. Tout concourt à établir avec certitude qu'en raison de ses revendications d'autonomie, l'opposition kurde, en butte à une politique de force, est pourchassée jusque dans les pays étrangers et combattue avec férocité, l'objectif final étant son élimination pure et simple.
1V. Les détails
La pratique de persécution et d'élimination d'opposants ou de personnalités politiques tombées en disgrâce est clairement exprimée dans les déclarations de certaines personnalités de renom dans le cercle des dirigeants iraniens et dévoilée par des attentats dont les traces remontent jusqu'à l'Iran.
1.L'interview de KhalkhaliEn 1979, l'ayatollah Khalkhali, utilisant des termes qui ne laissent planer aucun doute, a préconisé l'exécution de toute personne dont le seul péché est d'être opposé au régime en place. Ces déclarations figurent dans le verdict que la cour d'assises de Paris a rendu le 16 juin 1995 en rapport avec le verdict de la cour d'appel de Paris du 31 mars 1994, basé sur les conclusions du juge d'instruction. Le verdict fut prononcé contre six accusés, déclarés coupables par contumace du meurtre de Chapour Bakhtiar, dernier Premier ministre de l'Iran avant la Révolution islamique, et de son secrétaire, et condamnés à la prison à perpétuité. Dans les attendus du jugement, on peut lire: «Il est évident que Bakhtiar a été assassiné en raison de ses activités politiques, notamment depuis son exil. Dix jours après le retour en 1979 de l'ayatollah Khomeiny, il fut contraint de partir en exil et il réussit à gagner la France. Le 14 mai 1979, l'ayatollah Khalkhali, «juge religieux et président du tribunal révolutionnaire», accorda une interview au journal iranien «Kayan», au cours de laquelle il fit part de son intention «d'anéantir les corrupteurs». Il déclara que «ceux qui ont quitté l'Iran après la Révolution sont considérés comme de véritables traîtres», qui méritent «la peine de mort». Parmi les personnes visées, il cita nommément Chapour Bakhtiar. Le 7 décembre 1979, après l'assassinat de Mustapha Chafik, un membre de la famille impériale, à Paris, l'ayatollah Khalkhali réitéra ses menaces à l'encontre de Bakhtiar. Après avoir affirmé que les fedayin islamiques continuaient leurs activités en Europe et aux Etats-Unis pour dépister les criminels et les punir de leurs agissements, il déclara que Bakhtiar était pris pour cible, car «de son exil parisien, il mène campagne contre l'imam Khomeiny».
2. L'attentat contre le Dr. GhassemlouAinsi qu'il ressort de la déposition de Bani Sadr, le principe de la persécution et de l'élimination d'opposants au régime, ouvertement prôné par Khalkhali en 1979, visait principalement, selon les volontés de Khomeiny, les dirigeants de l'opposition kurde. Ce principe fut mis en application dans l'attentat contre le Dr. Ghassemlou, le 13 juillet 1989 à Vienne, qui a de nombreux liens avec l'attentat du «Mykonos». a) Le témoin Hosseini a fait une déposition sur les raisons qui ont poussé le Dr. Ghassemlou à vouloir négocier avec les dirigeants iraniens et sur la politique du P.D.K.I. à la suite de l'attentat. b) Les constatations sur le déroulement de l'attentat, sur les victimes et les meurtriers présumés, reposent essentiellement sur les conclusions de l'enquête menée par la direction de la police de Vienne. Le tribunal a été informé de ces investigations par le fonctionnaire Ostrowits, qui était à l'époque à la tête du groupe d'investigation sur le plan national pour la lutte contre le terrorisme en Autriche. Hautement qualifié, le témoin connaît parfaitement le dossier et a rédigé, avec son groupe, un résumé des résultats de l'enquête. Parmi les victimes de l'attentat se trouvait le Dr. Ghaderi Azar, représentant du P.D.K.I. en Europe. Le représentant en Europe Abdoli a connu le même sort à Berlin. Les fonctions d'une des autres victimes, le Dr. Razoul Fadel, correspondaient à celles de Dehkordi. Les traces de l'attentat remontent très haut dans l'administration iranienne. Le meurtrier présumé Sahraroodi, selon les indications fournies aux enquêteurs autrichiens par le dirigeant kurde irakien Barzani qui avait été son partenaire dans d'autres négociations, était à l'époque commandant des pasdaran. Ces indications rejoignent la déclaration du témoin Dabiran entendu par le tribunal, selon laquelle Sahraroodi est à présent le numéro deux dans l'état-major des pasdaran. D'après les déclarations du Dr. Steinbach, se référant aux nombreux entretiens qu'il a eus en Iran, l'attentat de Vienne était dirigé et contrôlé par l'Iran. Son opinion concorde avec le rapport du 19 décembre 1995 du service de contre-espionnage fédéral, selon lequel le commando qui a perpétré l'attentat de Vienne était issu du «Conseil pour les missions spéciales» de la direction pour l'étranger de la VEVAK. Ceci a été confirmé par Mesbahi. Celui-ci déclara en outre que les dirigeants iraniens avaient décidé de liquider le Dr. Ghassemlou parce qu'ils redoutaient, en raison du poids politique du Dr. Ghassemlou et de sa volonté d'engager des négociations, une unification politique des Kurdes par delà les frontières. Sur instruction du «Comité pour les Affaires spéciales», deux agents du service «Information et opération» des pasdaran au Kurdistan, les désnommés Judi et Jafari, avaient alors rédigé, ensemble avec Mohammad Madi Hadavi Moghadam, à l'époque responsable à la VEVAK du service de collecte de renseignements sur le Kurdistan d'Iran, un rapport qui fut soumis au Comité par l'intermédiaire de la VEVAK. Sur ce, en 1988, le Comité avait décidé la mort du Dr. Ghassemlou. En raison de ses bons résultats dans l'affaire Ghassemlou, Moghadam fut ensuite chargé par Fallahian de proposer des solutions pour régler l'affaire Sharafkandi. On peut établir des parallèles entre les attentats de Vienne et de Berlin en ce qui concerne non seulement leur origine, mais aussi leur exécution. A Vienne, chacune des victimes fut atteinte de plusieurs balles et reçut un «coup de grâce»; à Berlin également, certaines victimes (le Dr. Sharafkandi et Ardalan) eurent droit au coup de grâce. Dans les deux cas, les tueurs se débarrassèrent de leurs armes (parmi lesquelles, à Vienne également, un pistolet de marque Llama) au cours de leur fuite. Dans les deux cas, l'engin ayant servi à la fuite (une moto à Vienne, une voiture de tourisme à Berlin) avait été procuré par un tiers sous un faux nom et abandonné non loin du lieu de l'attentat. Le Dr. Steinbach a cependant émis l'opinion qu'en dépit des mêmes motivations politiques et des mêmes buts poursuivis, la configuration politique entourant les deux attentats était différente. L'Autriche n'avait que peu d'importance pour l'Iran, alors que l'Allemagne, en raison de sa politique constructive à l'égard de l'Iran, représentait la «Porte ouverte sur l'Occident». Un attentat sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne serait dès lors lourd de conséquences pour les relations entre les deux Etats. Ces considérations ne s'opposent pas aux similitudes entre les attentats de Vienne et de Berlin. Il se peut qu'à la volonté de l'Iran de maintenir des bonnes relations avec la République fédérale d'Allemagne se soient superposés d'autres intérêts, d'autant plus, selon l'expert, qu'à l'intérieur du système politique de l'Iran on trouve des forces «khomeinistes», c'est-à-dire des partisans d'une ligne dure tels Khamenei et Fallahian, hommes d'influence, dont l'objectif est de vider de leur substance les relations avec les pays occidentaux, voire même de les «ramener à zéro». Etant donné la politique de force menée par l'Iran et son non-respect des principes de l'Etat de droit, et en raison précisément de ses bonnes relations avec la République fédérale d'Allemagne, il n'est guère étonnant que l'Etat iranien ait cru, à tort évidemment, que le fait d'être impliqué dans l'attentat n'aurait pas de conséquences sérieuses. Tout porte à croire que c'est pour cette raison que l'attentat a été commis sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne, et non pas à Paris dans l'appartement du Dr. Sharafkandi qui était aussi son lieu de travail, où il ne bénéficiait d'aucune protection (tout comme à Berlin) et où les impondérables liés à son exécution étaient nettement moindres qu'à Berlin à l'occasion du Congrès de l'Internationale Socialiste.
3. L'attentat contre Javadi à Larnaca.
Le 26 août 1989 à Larnaca (Chypre), deux tueurs blessèrent mortellement l'opposant iranien Bahman Javadi par une balle dans la tête. A ce sujet, Mesbahi a déclaré qu'il avait appris d'un officier supérieur des services secrets iraniens, qui travaillait à l'époque au Tribunal révolutionnaire et était au courant de l'attentat, que la décision de liquider l'opposant était d'ordre politique et que l'exécution avait été confiée à des membres des pasdaran. Il ressort de l'enquête menée par la police de Nicosie que l'arme utilisée pour le crime était un pistolet automatique Llama de modèle XA, No 496919, calibre 7,65 mm, muni d'un silencieux. D'après les renseignements fournis par Interpol, l'arme avait été livrée le 30 mars 1971 au Ministère de la Guerre iranien et fut abandonnée par les tueurs, comme à Vienne et à Berlin, lors de leur fuite.L'examen à Nicosie du silencieux par un officier de la police judiciaire allemande a révélé qu'il présentait de nombreuses similitudes avec le silencieux utilisé lors de l'attentat du «Mykonos».
4. L'attentat contre Mohammadi à Hambourg
La manufacture et les signes distinctifs des silencieux présentent en outre des similitudes avec ceux utilisés lors de l'attentat perpétré le 18 janvier 1987 à Hambourg-Bergedorf contre l'ex-pilote Ali Akbar Mohammadi. Mohammadi s'était enfui à Bagdad (Irak) dans un avion iranien, en compagnie de son frère et de son beau-frère, et était arrivé en avril 1986 en Allemagne, où il obtint l'asile politique. Le jour de l'attentat, il fut abattu de plusieurs balles dans la tête, le cou et le thorax, par deux tueurs qui utilisèrent un pistolet automatique de marque Llama, modèle XA, calibre 7,65 mm, muni d'un silencieux, et un automatique de marque Beretta, modèle 1934, calibre 7,65 mm, dont ils se débarrassèrent au cours de leur fuite.
5. L'interview de Fallahian
Le 30 août 1992, le ministre des services secrets iraniens Fallahian accorda une interview à la BBC qui est tout à fait dans la ligne des déclarations de Khalkhali: «..... En ce qui concerne la lutte contre les groupuscules, comme nous l'avons déjà dit précédemment, le Ministère (du service de renseignement et de la Sécurité intérieure) a subdivisé ces derniers en trois groupes principaux: les groupuscules partisans d'une idéologie de gauche, les groupuscules partisans d'une idéologie de droite et ceux qui sont éclectiques. Dans leur ensemble, les groupuscules actuellement actifs dans ce pays sont également impliqués dans des activités d'espionnage, par suite des limitations qui leur sont imposées en raison de la nature de leur organisation et qui les obligent à collaborer avec des services étrangers afin d'obtenir que les gouvernements qui nous sont hostiles leur fournissent une aide financière et les renseignements dont ils ont besoin. Nous avons réussi à noyauter les organisations centrales de ces groupuscules et à arrêter la plupart de leurs membres. Dans l'ensemble, il n'y a pas de groupuscules actifs en ce moment dans le pays. Ils ont été forcés de fuir. Nous continuons nos opérations. Nous poursuivons ces groupuscules et les surveillons de près à l'étranger. Nous avons infiltré leurs organisations centrales et nous nous tenons informés sur leurs activités. Dieu soit loué, nous avons réussi à toujours garder leurs activités sous notre contrôle. Ils ont été impliqués dans plusieurs attentats à la bombe dans notre pays, au cours desquels ils ont distribué des tracts et mis en circulation leurs publications. Au cours de l'année dernière, nous avons saisi environ cinq tonnes d'affiches et de tracts entrés en contrebande dans ce pays. Nous avons également réussi à porter un coup à de nombreux groupuscules à l'extérieur du pays et aux frontières. Comme vous le savez, parmi les groupuscules actifs, il y a le Parti Démocratique (Kurde), le PDK, qui opère au Kurdistan par l'intermédiaire de deux organes, le groupe principal et le groupe de soutien. Il y a aussi le Komalah (l'ancien Parti communiste kurde). Nous avons réussi, l'année dernière, à porter des coups décisifs à leurs cadres. Nous avons porté des coups sévères au groupe principal et au groupe de soutien et nous avons pu limiter leurs activités...» Loin d'être uniquement de la propagande, les déclarations de Fallahian réflètent la ligne politique prônée par l'Iran de l'élimination par la force de l'opposition kurde. Dix-huit jours après cette interview eut lieu l'attentat contre le Dr. Sharafkandi et ses compagnons. La déclaration de Mesbahi, selon laquelle une personne de confiance lui avait remis l'enregistrement sur bande magnétique d'une session du «Conseil National de Sécurité» après l'attentat contre le Dr. Ghassemlou, s'insère parfaitement dans ce contexte. L'article 13 de la Constitution stipule que font partie de cet organe le président de l'Etat iranien, placé à sa tête, et en tant que membres les chefs des trois pouvoirs, les ministres de l'intérieur, de la VEVAK et des Affaires étrangères, ainsi que deux représentants nommés par le Guide de la Révolution. Il appartient au Conseil de coordonner les activités politiques et de renseignement dans le cadre de la politique de sécurité générale. L'enregistrement révèle que le Conseil était arrivé à la conclusion que le P.D.K.I., en tant que principale force de l'opposition kurde, n'avait pas été affaibli de manière décisive par la mort du Dr. Ghassemlou, auquel avait succédé une autre personnalité d'envergure (à savoir le Dr. Sharafkandi). Il fut décidé de prendre les mêmes mesures contre le Dr. Sharafkandi que contre le Dr. Ghassemlou. Les événements qui se sont déroulés dans le local «Mykonos» en donnent confirmation.
6. Préparatifs de sécurité au Kurdistan d'Iran
Les dépositions concordantes des témoins Hosseini et Dabiran à ce propos sont également de première importance. Les deux témoins ont déclaré que, la veille de l'attentat de Berlin, les forces armées et de sécurité avaient été mises en état d'alerte au Kurdistan d'Iran. Chacun de son côté, les témoins avaient obtenu ces renseignements dans les rangs de leurs membres et de leurs sympathisants. Dabiran rapporta que, suite à une décision du Conseil National de Sécurité, il y eut une session extraordinaire des forces de sécurité établies dans la région kurde. Y participaient le gouverneur de la province, des représentants de la police, de la VEVAK, du ministère public de la province, des pasdaran et de l'armée. Le témoin Hosseini déclara de son côté que, d'après les renseignements communiqués au P.D.K.I., les militaires avaient occupé des points stratégiques importants. De telles mesures avaient déjà été prises les jours anniversaires de l'attentat contre le Dr.Ghassemlou ou dans d'autres situations critiques, lorsque le régime préparait des opérations contre l'opposition au Kurdistan ou qu'il s'attendait à des troubles parmi la population. Mais à l'époque, la situation dans le pays n'exigeait aucunement de prendre de telles mesures. On peut dès lors en conclure que le régime avait décidé ces mesures de sécurité de crainte que la révélation de l'attentat ne provoque des émeutes. En effet, la réaction ne se fit pas attendre. Le témoin Dabiran a présenté la copie d'un «communiqué politique de l'Assemblée du Conseil National» (Parlement) du 23 octobre 1992, dont l'authenticité a été confirmée par le Dr. Ganji et par Mesbahi. Il y est dit que, le 20 septembre 1992 dans la ville de Mahabad, la plupart des magasins ont graduellement fermé; ces magasins ont ensuite été aspergés de peinture. Le témoin Hosseini, qui se trouvait à l'époque à Oshnavieh, une ville du Kurdistan d'Iran, a rapporté que les magasins qui avaient fermé en dépit de l'ordre officiel de s'abstenir de toute manifestation, furent peints en rouge. Au vu de ces événements, le tribunal conclut que les mesures de sécurité étaient en rapport avec l'attentat du «Mykonos».
7. Mises en garde avant l'attentat
Le témoin Hosseini a déclaré au tribunal qu'après l'attentat contre le Dr. Ghassemlou la direction du P.D.K.I. s'attendait à d'autres attentats contre des personnalités dirigeantes du Parti. Lors d'entretiens que Hosseini eut avec Talabani, dirigeant kurde irakien et président de l'Union Patriotique du Kurdistan (UPK), celui-ci lui dit qu'il avait prévenu le Dr. Sharafkandi du danger imminent d'un attentat. Le témoin Bani Sadr a rapporté que des personnes de confiance à l'intérieur de la VEVAK lui avaient fait parvenir un message environ trois semaines avant l'attentat, disant qu'ordre avait été donné de liquider le Dr. Sharafkandi, et qu'il avait transmis le message à ce dernier. Ces mises en garde ne faisaient que confirmer, selon Hosseini, la situation critique dans laquelle se trouvait le Dr. Sharafkandi de manière générale. Il aurait pu y échapper en abandonnant ses activités politiques, mais il estimait que sa mission était trop importante pour la sacrifier à sa sécurité personnelle en cédant aux pressions. En outre, toujours selon Hosseini, le Parti n'était pas en mesure d'assurer sa protection de manière permanente.
8. Attentats contre le Dr. Ganji et contre des membres de son organisation
a)Le tribunal tient pour crédible la déclaration du Dr. Ganji selon laquelle il aurait été la cible d'un attentat dont un membre de son organisation «Drapeau de la Liberté», Bay Ahmadi, fut la victime. Après l'arrestation de dix-huit collaborateurs de l'organisation en Iran, Bay Ahmadi reçut un coup de fil d'un fonctionnaire de haut rang de la prison Evin à Téhéran, un certain Haj Kabiri, qui lui apprit qu'en secret il se sentait proche des idées défendues par l'organisation et qu'il pouvait venir en aide aux prisonniers. Dans ce but, il désirait organiser une rencontre avec le Dr. Ganji et Bay Ahmadi à Doubaï. Pour des raisons de sécurité, Bay Ahmadi préféra fixer le lieu de rencontre à Istanbul, où l'ex-major Golizadeh pouvait lui servir de garde du corps. Il s'y rendit seul. Après la rencontre avec Kabiri, les prisonniers, à l'exception de deux d'entre eux, furent effectivement remis en liberté en juillet 1989. Ahmadi accepta dès lors la proposition de Kabiri d'une rencontre à Doubaï pour discuter de la suite des actions à mener. Kabiri avait demandé avec insistance que le Dr. Ganji se rende lui aussi à Doubwf, mais toujours pour les mêmes raisons de sécurité, Ahmadi seul fit le voyage. La rencontre se révéla être un piège: trois heures et demie après son arrivée à Doubaï, Ahmadi fut abattu dans son hôtel par deux individus. D'après les renseignements communiqués au Dr. Ganji par la police de Doubaï, les auteurs du crime auraient quitté Douba7i deux heures et demie après l'attentat par un vol à destination de Téhéran. Sur des photos des deux hommes, Golizadeh a reconnu le dénommé Kabiri. Les prisonniers qui avaient été libérés furent à nouveau incarcérés; certains parmi eux furent exécutés. Quant à Golizadeh, d'après les renseignements transmis par la police au Dr. Ganji, il fut enlevé en décembre 1992 à Istanbul, torturé et assassiné. En octobre 1990, le Dr. Ganji eut connaissance d'un autre projet d'attentat sur sa personne, ce qui l'amena à quitter la France pour quelque temps. Le 23 octobre 1990, son représentant Cyrus Elahi fut assassiné à sa place à la sortie de son domicile. Le tribunal a lieu de présumer que les tentatives d'assassinat du Dr. Ganji ont été commanditées par les dirigeants iraniens, en particulier en raison du fait que la remise en liberté de prisonniers et leur réincarcération sont impossibles sans une intervention de l'Etat. Cette présomption se transforme en certitude à la suite d'une autre révélation. Le Dr. Ganji a présenté au tribunal la copie d'un écrit qu'il déclare avoir reçu au cours de l'été 1993 d'une source qu'il estime digne de confiance. Il s'agit d'une lettre du procureur général de la République islamique, Moussawi Tabrizi, datée du 17 mars 1993 et adressée à la VEVAK. Elle porte la mention «Attention! Courrier à détruire après la fin de l'action» et concerne le Dr. Ganji. Le procureur écrit qu'après avoir demandé «l'avis autorisé» du Guide de la Révolution islamique, celui-ci lui avait fait parvenir la réponse suivante: «La personne mentionnée est un apostat ainsi qu'un corrupteur et encourt la peine de mort. En raison de son hostilité envers le Tout-Puissant (Loué soit Son Nom) et Son vénéré dernier Prophète (Dieu lui accorde Sa Miséricorde), en raison de son non-respect des commandements de Dieu, de ses activités de propagation de troubles et de corruption dans la patrie islamique, ainsi que pour la protection et la préservation de l'Islam et des musulmans, cette racine pourrie doit être immédiatement éliminée, afin que cela serve d'avertissement aux autres». Le procureur général ajoutait qu'après examen approfondi des documents concernant le Dr. Ganji et des rapports des ambassadeurs et d'autres sources à l'étranger, le Conseil supérieur des juges de la Charia avait décidé que, du point de vue de la religion, Ganji devait mourir. Le chef du pouvoir judiciaire, Mohammad Yazdi, avait ensuite fait part au président de la République de la nécessité de cette exécution. N'ayant pas connaissance de l'identité de la source, le tribunal n'a pas été en mesure de vérifier l'authenticité de la copie jusque dans le moindre détail. Il n'a cependant aucune raison valable de la mettre en doute. Le Dr. Steinbach estime probable que le processus de décision s'est déroulé de la manière décrite dans la lettre. L'islamologue Dr. Halm n'a rien trouvé dans le contenu ni dans la forme de la lettre qui puisse faire douter de son authenticité et a ajouté qu'il s'agissait effectivement d'un document d'Etat. De son côté, le service de renseignement fédéral, qui avait été chargé de vérifier l'authenticité de la lettre, a affirmé dans son rapport que la forme et le style étaient caractéristiques d'un document officiel de la République islamique d'Iran. La déposition de Mesbahi confirme ces déclarations. D'après lui, il s'agit d'un écrit par lequel le ministère public fait savoir, après avoir demandé et obtenu l'avis du Guide de la Révolution, qu'il en a terminé avec cette affaire. Il appartient ensuite au destinataire, en l'occurrence la VEVAK, de collecter les renseignements qu'il estime nécessaires, de présenter des propositions de solution, comme ce fut le cas pour le Dr. Ghassemlou et le Dr. Sharafkandi, et de soumettre les résultats de ses travaux au «Comité pour les Affaires spéciales».
9. Distinctions honorifiques accordées aux auteurs d'attentats
Un détail supplémentaire confirme l'attitude adoptée par les dirigeants iraniens vis-à-vis des attentats terroristes. Le témoin Dastmalchi a mis à la disposition du tribunal des photos de timbres-poste iraniens. Un de ces timbres fut émis pour «commémorer la mémoire du major Islamboli, auteur de l'exécution révolutionnaire de Sadate» - ce dernier qualifié en anglais d'»agent». Le témoin Mesbahi a par ailleurs déclaré qu'une rue à Téhéran porte le nom d'Islamboli. Il en ressort que les autorités iraniennes, loin de s'opposer à des attentats terroristes, les soutiennent et rendent même publiquement hommage à leurs auteurs.
V.Très révélatrice, pour Finir, est l'attitude des dirigeants de l'Etat iranien après l'attentat du «Mykonos».
Dans le communiqué du 23 octobre 1992 mentionné plus haut, le gouvernement iranien exclut toute responsabilité dans le crime et tente de la rejeter sur d'autres: «1. Ainsi qu'il a été porté à notre connaissance, les mass media impérialistes s'efforcent, sans la moindre preuve ni pièce à l'appui, d'imputer le meurtre de trois éléments contre révolutionnaires à la République islamique d'Iran. Ceci témoigne de l'hostilité et de l'arrogance mondiale à l'encontre d'un pays islamique indépendant. Les instances officielles de la République islamique ont rejeté ces accusations. Il faut mentionner tout d'abord que la République islamique, étant donné la situation mondiale actuelle, ne voit pas la nécessité de nuire à sa réputation sur le plan international par un attentat contre quelques éléments à la solde du grand Satan. Ensuite, le Parti Démocratique, qui a été dissous, et ses dirigeants chancelants tels que Sharafkandi ont trop peu d'importance pour que la République islamique d'Iran leur consacre du temps. Bien que ce groupuscule soudoyé ait essayé de temps à autre d'attirer l'attention sur lui, les combattants de la République islamique d'Iran contre l'incroyance lui ont infligé une telle gifle qu'ils lui ont enlevé toute possibilité d'une quelconque action contre révolutionnaire. 2. Il est probable que des dissensions à l'intérieur du parti et des différends entre les différentes branches kurdes sont à l'origine de cet attentat terroriste. 3. Il faut de toute évidence envisager également (la possibilité) que la contre-révolution commet de tels crimes à l'étranger afin de manipuler l'opinion publique internationale contre la République islamique d'Iran. Les meurtres de Ghassemlou, Bakhtiar, Farrokhzad et Sharafkandi, entre autres, méritent considération à cet égard». Les efforts des autorités pour se dédouaner sont restés vains. La dernière phrase du premier paragraphe est particulièrement significative. En effet, loin de contenir une condamnation du crime, elle témoigne plutôt d'une approbation. La définition de «gifle» donnée au crime correspond aux termes employés par Fallahian. La gravité de l'expression «coups sérieux» utilisée par Fallahian et l'identité des commanditaires de l'attentat ressortent clairement d'une déclaration du vice-ministre de la VEVAK au témoin Mesbahi:
«Nos garçons ont frappé le Dr. Sharafkandi».
Mesbahi a également déclaré qu'une personne de confiance appartenant au Conseil National de la Sécurité lui avait communiqué un enregistrement d'une session en 1993, au cours de laquelle avaient été envisagés différents moyens de contrer les effets politiques des attentats, car il était apparu qu'à la suite de l'attentat de Berlin la République fédérale avait pris des mesures qui pouvaient influer sur ses relations avec l'Iran. Il avait donc été décidé de tenter d'arrêter la procédure judiciaire le plus rapidement possible et de politiser l'affaire. C'est ce à quoi s'est employé le ministre des services secrets Fallahian lors d'entretiens qu'il a eus les 6 et 7 octobre 1993 en Allemagne avec le ministre d'Etat à la Chancellerie Schmidtbauer, au cours desquels il a tenté d'empêcher l'ouverture du procès prévue pour le 23 octobre 1993. D'après Schmidtbauer, qui était également responsable de la coordination des services secrets allemands, Fallahian aurait à plusieurs reprises soulevé la question du procès, aurait déclaré que les accusés n'étaient pas coupables, que l'Iran était accusé à tort, et aurait demandé qu'on prenne des mesures du côté allemand pour empêcher le procès, en rappelant les efforts déployés antérieurement par l'Iran pour convaincre le clan Hammadi au Liban de libérer des otages allemands. Sa demande ayant été catégoriquement rejetée, Fallahian offrit de faire tout son possible pour faire la lumière sur l'attentat. Non seulement son offre n'eut pas de suites, mais de plus les instances iraniennes firent ce qu'elles purent pour retarder la fin du procès. Ceci ressort à l'évidence des conclusions concernant la non-audition du témoin Nurara au motif de sa non-comparution. Elles révèlent en outre que Nurara collaborait avec les instances iraniennes et que ces dernières essayaient d'influencer le témoin Bahram Brendjian dans le même sens: «1. Une note verbale de l'ambassade d'Allemagne du 25 juillet l996 convoquant le témoin Nurara pour être entendu dans les locaux de l'ambassade le 12 août 1996 lui a été transmise par l'intermédiaire du Ministère des Affaires étrangères de la République islamique d'Iran. Au jour dit, le témoin ne s'est pas présenté. Il n'a donné ou transmis aucune raison pour son absence, ni avant la date prévue pour son audition, ni pendant l'audition du témoin Brendjian qui a eu lieu le même jour entre 10h 15 à 2 1 h25, ni jusqu'au 24 août 1996. Dans une lettre datée du 14 août 1996, transmise le 26 août 1996 à l'ambassade d'Allemagne avec une note verbale de l'Iran, le témoin affirme s'être présenté le jour de l'audition ponctuellement à 1 Oh devant l'entrée principale de l'ambassade et avoir demandé, après avoir montré sa convocation, que l'on prévienne Monsieur N., signataire de la convocation. On lui aurait déclaré que N. n'était pas encore arrivé. Il aurait réitéré sa demande par deux fois à un quart d'heure de distance et reçu la même réponse. 2. Cette version ne correspond pas aux faits. Le tribunal suit la déclaration de l'ambassadeur d'Allemagne au Ministère des Affaires étrangères, selon laquelle il avait donné l'ordre, afin d'assurer que l'audition des témoins Brendjian et Nurara puisse avoir lieu, de les laisser entrer dans l'ambassade à quelque heure que ce fût. Les fonctionnaires en service étaient en possession de leurs noms, y compris les portiers de l'entrée principale et du service consulaire. Lorsque le témoin Brendjian se fut présenté, on se mit à la recherche de Nurara qu'on fit appeler jusque dans la longue queue des demandeurs de visa. Jusqu'à 1 heure de l'après-midi, l'appel fut renouvelé par deux fois. Aucun des portiers aux entrées de l'ambassade ne se rappela avoir vu Nurara; d'après eux, personne d'autre que Brendjian ne s'était présenté muni d'une convocation. Etant donné les instructions qui avaient été données pour permettre l'audition du témoin Nurara, le tribunal est convaincu de la fiabilité de la mémoire des portiers et rejette dès lors les déclarations de Nurara. Nurara a affirmé que lorsqu'il s'est présenté à l'ambassade, N. n'était pas encore arrivé. Ceci ne correspond pas aux faits, car N. se trouvait à l'époque en congé et ne pouvait dès lors pas se rendre à l'ambassade. Il n'est pas exact non plus qu'on ait pu refuser l'entrée à Nurara, car les portiers ont instruction de diriger tout visiteur qui demande à être reçu par le fonctionnaire qui s'occupe de son cas, en l'absence de ce dernier, vers le bureau de son remplaçant. Il est établi par ailleurs que Brendjian, qui avait également reçu une convocation signée par N., avait été admis à l'intérieur de l'ambassade sans la moindre difficulté. 3. Il a également été établi que les instances iraniennes ont cherché, en collaboration avec Nurara, à influencer le cours du procès. Non seulement elles ont fait leurs les déclarations mensongères de Nurara, selon lesquelles l'entrée lui aurait été refusée le jour fixé pour l'audition, mais elles les ont prises pour prétexte pour convoquer l'ambassadeur d'Allemagne au Ministère iranien des Affaires étrangères le 25 août 1996. Lors de cet entretien, la partie iranienne ne s'est pas contentée de reprendre à son compte les affirmations de Nurara, elle a également avancé des propos inexacts concernant l'audition du témoin Brendjian. Contrairement aux affirmations du ministre plénipotentiaire de l'ambassade d'Iran à Bonn, l'entrée n'a pas été refusée à Brendjian. Brendjian s'est présenté à l'ambassade et a été dûment entendu comme témoin. Egalement sans fondement est l'accusation iranienne selon laquelle on aurait refusé l'assistance d'un avocat au témoin. Une telle demande de la part de Brendjian et le refus du fonctionnaire qui l'interrogeait auraient été mentionnés dans le rapport de l'audition. Or il n'en est rien. Il en ressort que Brendjian n'a pas demandé à être entendu en présence d'un avocat. Il est exact que Brendjian n'a pas enregistré son audition sur bande magnétique, mais inexact qu'on le lui ait refusé, car une discussion à ce propos et la décision y correspondant auraient été mentionnées dans le rapport. 4. Le tribunal est convaincu qu'en raison de la collaboration entre Nurara et les instances iraniennes, toute autre tentative de procéder à l'audition du témoin est vouée à l'échec. Dans sa décision du 2 mai 1996, après que la demande d'audition des témoins Brendjian, Nurara et Darabi eut été rejetée, le tribunal avait acquis la conviction que les témoins n'étaient pas autorisés à voyager et que les instances iraniennes les empêchaient dès lors de déposer lors de l'audience principale. Ce n'est que lorsqu'il apparut que la procédure de l'administration des preuves tirait à sa fin et que les preuves pouvaient ne pas être prises en compte, qu'on fit marche arrière du côté iranien. Quelques jours avant le 25 juin 1996, date prévue pour les plaidoiries finales, les autorités iraniennes déclarèrent que les témoins pouvaient être entendus immédiatement. A y regarder de plus près, cette décision n'était qu'une manoeuvre dilatoire: en effet, avec l'affirmation mensongère que la non-audition de Nurara était imputable à une négligence du côté allemand, l'Iran espérait qu'une nouvelle date de comparution allait être fixée, à laquelle, une fois de plus, Nurara ne se présenterait pas. Du côté iranien, on trouverait bien des motifs à son absence tout aussi mensongers et surtout invérifiables. La tentative iranienne de pousser le tribunal à fixer une nouvelle date d'audition de Brendjian en affirmant que l'audition de ce témoin à l'ambassade était entachée d'irrégularités procède du même ordre d'idées. (... ) Le tribunal décide que de nouvelles auditions ne s'imposent pas». Il y eut une dernière tentative, mais en vain, pour influencer le cours du procès dans un sens favorable à l'Iran et ôter leur signification aux paroles de Fallahian: celle de l'ambassadeur de la République islamique d'Iran dans une note (accompagnant le dossier) datée du 28 novembre 1996 et adressée au ministre de la Justice de la République fédérale. Il y affirme que les déclarations de Fallahian ont été reproduites de manière incomplète et erronée quant à leur contenu, et poursuit: «Ses paroles ont été interprétées comme voulant dire qu'il avait réussi à porter des coups aux opposants à l'extérieur du pays. Dès le 8 septembre 1992, il s'est efforcé de prévenir de fausses interprétations. Toute référence à cette information est dès lors irrecevable». Ce démenti n'est pas convaincant. En admettant qu'il y a eu des interprétations erronées, l'ambassadeur ôte lui-même tout fondement à l'affirmation selon laquelle Fallahian n'aurait pas prononcé les paroles dont il est question. Il ne peut y avoir de fausses interprétations de paroles qui, n'ont pas été prononcées.
VI. La responsabilité des dirigeants iraniens
Tout ce qui a été exposé jusqu'ici montre à l'évidence que l'attentat contre la direction du P.D.K.I. avec à sa tête le Dr. Sharafkandi n'est pas le fait d'individus isolés et que l'origine du crime n'est pas à chercher dans des divergences entre groupes de l'oppositîon. Cet attentat a été mis en oeuvre par les hommes au pouvoir en Iran. 1. Il est exclu que les accusés, tout comme le commando conduit par Banihashemi, aient pu être les instigateurs du crime. Ils n'avaient ni relations personnelles avec les victimes, ni intérêts particuliers' qui eussent pu les pousser à commettre ce crime de leur propre chef. Même Darabi, malgré ses liens avec les services de renseignement et sa subordination aux intérêts politiques du régime, n'aurait pas perpétré un tel attentat, qu'il n'aurait de toute façon pas pu mener à bien sans aide extérieure en raison des difficultés logistiques, s'il n'en avait reçu l'ordre.Cela vaut également pour le commando de tueurs, dont la capacité opérationnelle dépendait des travaux préparatoires des instances iraniennes. 2. L'attentat n'était pas davantage le produit de conflits à l'intérieur du P.D.K.I. ou avec d'autres groupes d'opposants kurdes. A ce propos, le tribunal a entendu, outre le Dr. Steinbach, de nombreux témoins vivant dans le pays ou à l'étranger (Dastmalchi, Esfahani, Mirrashed, Ezatpour, Dr. Farahati, Dr. Bamti-Novbari, Motahamelian, Jafari, Badii, Bani Sadr, Dr. Ganji, Hosseini et Dabiran), qui représentent pratiquement l'ensemble de l'opposition iranienne. Ils furent unanimes à affirmer que les partis de l'opposition iranienne, en dépit de tout ce qui les sépare sur le plan des idées et des objectifs poursuivis, entretiennent des relations pacifiques, contrairement aux deux partis kurdes conduits par Talabani et Barzani. Pour sa part, le Dr. Steinbach a déclaré qu'il tenait pour exclu qu'un tel attentat soit le fait d'un parti de l'opposition. Il existe une communauté d'intérêts à l'intérieur de l'opposition, dirigée contre le régime -en place. Ce serait dès lors contraire à leur intérêt si les membres des groupes d'opposition se mettaient à s'entretuer. D'ailleurs, on n'en a pas d'exemple. 3. Par contre, l'administration des preuves a démontré que les dirigeants iraniens ne se contentent pas d'approuver les attentats terroristes à l'étranger et d'honorer de manière incompréhensible leurs auteurs, mais qu'ils sont eux-mêmes les instigateurs d'attentats contre des personnes qui, au seul motif de leurs opinions politiques, ne trouvent plus grâce à leurs yeux. Ils font éliminer leurs opposants politiques afin d'être sûrs de garder le pouvoir. L'incroyable affirmation de Khalkhali, contraire à tous les droits de l'homme, selon laquelle toute personne hostile au régime en place mérite la mort a conduit en droite ligne à l'attentat contre le Dr. GhassemIou, en tant que représentant d'un parti de l'opposition. C'est pour les mêmes raisons que certains organes de l'Etat, dont faisaient partie ses plus hauts dignitaires, décrétèrent que Sharafkandi et ses plus proches collaborateurs devaient mourir. Loin de vouloir sortir du cadre de l'Etat iranien, les victimes n'aspiraient qu'à une autonomie limitée et revendiquaient, pour la population, une plus grande participation aux affaires de l'Etat et à la vie sociale. Ce n'est que lorsque ces revendications furent rejetées et que commencèrent les combats contré les Kurdes, que leurs dirigeants se sont mis à oeuvrer de l'étranger pour des changements. Les dirigeants iraniens étaient comme avant unanimes dans leur approbation de la lutte contre les groupes de l'opposition et leurs dirigeants, et leur attitude n'a pas varié au cours des années qui ont suivi les déclarations de Khalkhali et l'attentat de Vienne.C'est bien ainsi qu'il faut comprendre la satisfaction avec laquelle Fallahian a annoncé, le 30 août 1992, les résultats obtenus dans la lutte contre les mouvements d'opposition. Etant donné que le crime du «Mykonos» eut lieu à peine dix-huitiours plus tard, on peut considérer la déclaration de Fallahian comme une sorte de «bande-annonce» d'attentats à venir. La menace était à peine voilée, puisque Fallahian affirmait que les opérations allaient se poursuivre et qu'il n'hésiterait pas à immiscer l'étranger. Parallèlement aux préparatifs de l'attentat, les autorités iraniennes prirent des mesures de sécurité dans la région kurde, car elles s'attendaient à des manifestations populaires lorsque la nouvelle de l'attentat serait connue. Les hommes au pouvoir en Iran ont fait exécuter le Dr. Sharafkandi et ses collaborateurs conformément à leur principe d'élimination des opposants au régime et en associant les services compétents au processus de décision. Ainsi s'explique le fait que la clarification promise par Fallahian au ministre d'Etat Schmidtbauer ne se soit pas matérialisée, car la direction iranienne aurait été forcée de se démasquer. En fait, elle s'est bel et bien démasquée. Dans son rapport, dont la formulation laisse apparaître l'attitude méprisante et agressive de l'Iran à l'égard de l'opposition kurde, elle professe son soutien de principe aux attentats terroristes et ne fait dépendre leur mise à exécution que de la situation politique du moment. |